La Forêt des Saules conteurs

Il est difficile de donner une définition précise au récit. Il existe sous de nombreuses formes pour une grande diversité de supports (littérature, cinéma, jeux vidéo…). Le récit est généralement une suite narrée d’événements et d’actions liées par des liens de causalité. La transformation d’un état initial en un état final est une de ses caractéristiques fondamentales. L’étude scientifique des structures du récit est la narratologie. Cette discipline qui s’intéresse aux rouages des histoires montre l’importance de l’environnement dans la construction du récit. Loin de n’être qu’un simple décor, il est aussi la scène avec laquelle interagissent personnages et spectateur.rices.

Évolution « magique »
des protagonistes, par Toutatis !

Tout le monde connaît le gaulois Astérix et son ami Obélix le livreur de menhir. Presque autant que les protagonistes, leur lieu de vie est bien connu des lecteur·rices : le village des irréductibles Gaulois.

C’est lui et sa protection qui motivent les deux guerriers gaulois à partir à l’autre bout de l’Empire romain. Il est donc le principal moteur du récit. Mais celui-ci est surtout un témoin de l’évolution des personnages. En effet, chaque aventure se termine par la vignette du banquet au village. L’ajout d’un élément, textualisé ou illustré, qu’ils ramènent de leur voyage est différent dans chaque volume. Ainsi les protagonistes évoluent, ils découvrent et s’approprient de nouvelles cultures en même temps que leurs lecteur·rices. Ce phénomène qui tend à faire évoluer les cultures dans l’Histoire est appelé par les archéologues et les historien·nes l’appropriation culturelle.

Banquet final d’Astérix le ciel lui tombe sur la tête d’Uderzo et Goscinny (2005)

La vie au village des irréductibles gaulois dans Astérix aux jeux olympiques d’Uderzo et Goscinny (1968)

Astérix est une série de bandes dessinées françaises créée le 29 octobre 1959 par le scénariste René Goscinny et le dessinateur Albert Uderzo. Après le décès de René Goscinny en 1977, Albert Uderzo poursuit seul la série. Celle-ci sera reprise en 2013 par Jean-Yves Ferri et Didier Conrad. En janvier 2022 la série compte 39 tomes, vendus à 380 millions d’exemplaires et traduits dans 111 langues.

Chaque nouvelle aventure d’Astérix est une boucle, dont le point de départ et d’arrivée est le « chez-soi » : le village. Astérix est ainsi une invitation au voyage, à découvrir et à explorer le monde qui nous entoure afin d’évoluer en même temps que notre connaissance de celui-ci.

Amour, famille et foyer :
l'habitat sur scène

La mise en scène de 2016 de la comédie musicale Falsettos est devenue iconique grâce à son décor mouvant, constitué d’un grand cube représentant la famille se décomposant au fur et à mesure de la pièce. Ce parti pris de mise en scène fait écho à la thématique principale du récit : au milieu d’une famille qui se brise, comment trouver un foyer familial pour Jason, l’enfant du couple principal, qui doit se construire au milieu de ce chaos ? 

Dans la mise en scène de 2016, la pièce s’ouvre sur le cube entier, avant l’arrivée des acteur·trices

Les éléments scéniques servent ici d’outils pour la compréhension du scénario et son ancrage dans la réalité malgré les contraintes matérielles et spatiales. Cette imitation du réel, la mimesis d’Aristote défini dans son ouvrage La Poétique, est à la base même du théâtre. Au fur et à mesure de l’intrigue, les protagonistes vont trouver leur place au sein de la communauté, et le cube va se reconstruire doucement jusqu’à la maladie, puis la mort de l’un des personnages.  

Falsettos est une comédie musicale écrite et réalisée en 1992 par William Finn et James Lapine. Elle raconte l’histoire d’une famille juive atypique dans les États-Unis des années 1960. La mise en scène phare est réalisée en 2016 par Jordan Roth, sous la direction de James Lapine.

Image extraite de la comédie musicale Falsettos produite en 2016 à Broadway montrant les décors utilisés

Le cube s’absente alors du décor, puis revient complet pour que les personnages en retirent une pièce. Celle-ci fera office de pierre tombale. Ainsi, même si la mort de l’un des protagonistes a causé un trou dans le cube, les autres ont réussi à se souder autour de Jason pour lui constituer une vraie famille.

portal
L’espace comme objet de jeu

Dans Portal, le·a joueur·se doit traverser les différents niveaux du jeu à l’aide de portails de téléportation qu’il·elle peut générer sur les murs, le plafond et le sol. La traversée des différentes salles du jeu est impossible sans interaction avec l’environnement. 

Le·a joueur·se ne peut pas simplement explorer l’espace, mais doit l’expérimenter, jouer avec. L’environnement est ainsi l’élément-phare des mécaniques de jeu dans Portal puisqu’il propose de véritables énigmes environnementales. C’est le cas de nombreux autres jeux vidéo de réflexion (puzzle games). Ce rapport particulier au terrain de jeu dans Portal se matérialise par une vue à la première personne qui n’est pas polluée par des informations de jeu telles qu’une barre de vie, une mini-map ou d’autres icônes informationnelles. Par le choix des développeurs de préserver l’écran de jeu, l’accent est mis sur l’analyse sous toutes ses coutures des salles pour planifier au mieux le placement des portails.

Les portails dans Portal sont au cœur des mécaniques du jeu

La résolution des énigmes environnementales dans Portal implique un « jeu » avec l’espace et ses contraintes

Portal est un jeu vidéo de réflexion et d’action en vue à la première personne développé par Valve Corporation. Jouable depuis 2007 sur PC et consoles, le jeu a eu une suite, Portal 2sortie dès 2011. Le jeu consiste en une succession de parcours à franchir grâce à la création de portails de téléportation.

L’environnement dans les jeux vidéo peut également servir à distiller des informations sur l’univers dans lequel s’inscrit le récit, comme dans la série des BioShock ou des Dark Souls. Ce procédé narratif est appelé narration environnementale (environmental storytelling) et est une autre façon d’utiliser l’espace de jeu comme un outil narratif.

captain-fanstatic
Vie en autarcie : rêve ou utopie ?

La première partie du film Captain Fantastic se déroule dans une forêt reculée des États-Unis. Ben, le père de famille, instruit ses enfants au moyen d’activités en plein air telles que la chasse ou l’activité physique.

Affiche française du film Captain Fantastic sorti en 2016 et réalisé par Matt Ross

Aucun plan ne montre l’intérieur de la cabane familiale suggérant l’importance moindre de ce lieu en comparaison avec l’extérieur forestier omniprésent. Un événement tragique pousse la famille à prendre la route dans un bus aménagé. Pour la première fois du film, l’environnement est clos.

Ce voyage en bus permet de suggérer la transition d’un environnement infini et forestier à un nouvel habitat clos et urbain. Cela amorce l’idée d’un changement dans le mode de vie et l’éducation des enfants. La scène finale évoque la réconciliation entre ces deux modes de vie : ils emménagent dans une maison entourée d’un immense jardin où prospère un potager. Les scènes à l’extérieur et à l’intérieur explicitent la réconciliation de Ben et ses enfants avec leur nouvel environnement, à mi-chemin entre “vie en autosuffisance” et “monde ordinaire”.

Sorti en 2016, le film Captain Fantastic est une comédie dramatique américaine écrite et réalisée par Matt Ross. Il a remporté de nombreuses distinctions dont le prix de la mise en scène dans la catégorie Un certain regard au Festival de Cannes en 2016. Viggo Mortensen incarne Ben, le père de famille et personnage principal de ce film indépendant.

Image d’une séance de course quotidienne en famille extraite du film Captain Fantastic

Paroles de chercheur·es

Le récit n’a pas de support attitré. Il existe sous de multiples formes et se réinvente chaque fois qu’un nouveau média voit le jour. L’étude du récit est donc une discipline transversale, touchant aussi bien les théories littéraires que filmiques.

José-Louis de Miras est post-doctorant en études cinématographiques et audiovisuelles au laboratoire Cultures, Littératures, Arts, Représentations, Esthétiques (CLARE) de l’Université Bordeaux Montaigne. Il s’intéresse depuis sa thèse au cinéma interactif, et plus particulièrement à son histoire et à ses liens avec le cinéma et le jeu vidéo.

« Avec le cinéma interactif, c’est nous, “spec’acteurs”, qui allons devoir faire attention à dévoiler ou non cet hors-champ, ces lieux, puisqu’on va se retrouver souvent dans des espaces qui vont être enfermés, et pour lesquels choisir d’ouvrir ou non une porte peut donner lieu à la mort d’un des personnages. »
José-Louis de Miras
Post-doctorant en études cinématographiques et audiovisuelles
Sources

Introduction

  • Revaz Françoise, « Chapitre 3. La narrativité », dans : , Introduction à la narratologie. Action et narration, sous la direction de Revaz Françoise. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Champs linguistiques », 2009, p. 67-100. DOI : 10.3917/dbu.revaz.2009.01.0067. URL : https://www-cairn-info.ezproxy.u-bordeaux-montaigne.fr/—page-67.html
  • Lucie Guillemette et Cynthia Lévesque (2016), « La narratologie », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/Genette/narratologie.asp. Richet, B. (2018). Le tour du monde d’Astérix. Presses Sorbonne Nouvelle via OpenEdition.

 

Évolution « magique » des protagonistes, par Toutatis !

  • Richet, B. (2018). Le tour du monde d’Astérix. Presses Sorbonne Nouvelle via OpenEdition.
  • Amalvi, C. (1984). De Vercingétorix à Astérix, de la Gaule à De Gaulle, ou les métamorphoses idéologiques et culturelles de nos origines nationales. Dialogues d’histoire ancienne, 10(1), 285-318.
  • Dudézert, A., Fayard, P., & Oiry, E. (2015). Astérix et la gestion des connaissances 2.0: une exploration de l’appropriation des SGC 2.0 par le mythe du Village Gaulois. Systemes d’information management, 20(1), 31-59.

 

Amour, famille et foyer : l’habitat sur scène

  • Setting the Scene : the set design of Falsettos, Sydney Enthoven, publié en 2019 [Touchstone-Paper.pdf (freestyleacademy.rocks)]
  • La scénographie, un art à part entière ? Ondine Bréaud-Holland, publié dans Nouvelle Revue d’Esthétique (n°20) en 2017 [La scénographie, un art à part entière ? | Cairn.info]
  • Le langage commun de la scénographie, Guy-Claude François, publié dans Etudes Théâtrales (n°54 – 55) [Le langage commun de la scénographie | Cairn.info]
  • La mimesis : aspects ludiques et poétiques, Michael Groneberg, publié dans Penser la Scène en 2018 [La mimesis : aspects ludiques et poétiques (openedition.org)]

 

L’espace comme objet de jeu

  • AARSETH, Espen J. et GüNZEL, Stephan. Ludotopia spaces, places and territories in computer games. Bielefeld (Allemagne) : Transcript, 2019. ISBN 978-3-8376-4730-3
  • Guillaume Baychelier, « Imaginaires des espaces clos dans les jeux vidéo horrifiques », dans Voyages intérieurs et espaces clos, « Le Fil à retordre », n° 1, 2020. 
  • D. Carson, « Environmental Storytelling: Creating Immersive 3D Worlds Using Lessons Learned from the Theme Park Industry », Gamasutra [en ligne], (2000), URL : <www.gamasutra.com/view/feature/131594/environmental_storytelling_.php>

 

Vie en autarcie : rêve ou utopie?

  • Les chroniques de Cliffhanger & Co, par Robin Fender, le 11/11/2016

    https://leschroniquesdecliffhanger.com/2016/10/11/captain-fantastic-
    critique/