Les Récifs de l'Ordre

Pour que les groupes humains puissent vivre en communauté, une forme d’organisation sociale est nécessaire. Cette organisation repose sur un ensemble de croyances et de normes qui orientent les comportements. Ces règles ne découlent pas d’une nature humaine mais sont construites socialement, façonnées par les humains tout au long de l’histoire de leur société. En se plongeant dans des œuvres de fictions qui exacerbent certains traits de la réalité, il est possible de mettre en lumière certaines de ces nombreuses constructions sociales.

La construction sociale de la masculinité

Pour créer le héros du troisième opus de sa série de jeux Metal Gear Solid, Hideo Kojima s’est inspiré d’un modèle des films d’action américains réalisés sous la présidence de Ronald Reagan : le héros reaganien.

Les années 1980 voient une nouvelle forme de la masculinité s’affirmer dans la production cinématographique. Chez Rocky, Rambo ou le T-800 de Terminator, les muscles s’affirment et les émotions s’effacent : c’est l’avènement d’une nouvelle conception de l’homme. L’accueil mitigé qu’a connu le précédent opus de la série hors des frontières japonaises est l’une des raisons qui a orienté ce choix.

Naked Snake, personnage principal du jeu Metal Gear Solid 3 : Snake Eater

Raiden, personnage principal du jeu Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty

Metal Gear Solid (1987-2015) est une série de jeux d’action-infiltration créée par Hideo Kojima. L’enjeu central des protagonistes de l’œuvre est d’empêcher la création d’une arme nucléaire dévastatrice : le Metal Gear.

En effet, dans Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty, le personnage principal est Raiden dont le physique correspond à des critères de virilité différents de ceux attendus par le public occidental. C’est la figure du bishōnen (« joli garçon »), très fréquente dans les mangas et les animés japonais. Les critiques soulevées contre ce protagoniste, ainsi que la décision prise par le studio d’en changer, sont révélatrices du poids de la construction sociale de la masculinité.

La construction sociale de la race

Le film District 9 de Neill Blomkamp est une allégorie du racisme systématique vécu par les communautés noires de 1948 à 1991 en Afrique du Sud  : l’apartheid. Tout comme les populations noires pendant cette période, les extraterrestres sont considérés comme inférieurs et appelés péjorativement “crevettes”.

Bidonville aux abords de Johannesbourg dans lequel sont entassés les extraterrestres réfugiés dans le film District 9

 Ils se voient refuser le droit d’aller dans certains lieux, comme les parcs et les magasins, et sont entassés dans des bidonvilles où ils vivent dans des conditions insalubres. Ces normes et les droits accordés aux aliens sont dictés par la société. Le regard raciste se focalise alors sur une différence, souvent physique, afin de faire disparaître l’individualité au profit d’une prétendue nature. Ici, bien que les distinctions physiques et biologiques entre les aliens et les humains soient évidentes, c’est bien la société qui choisit de les hiérarchiser. Cela permet de légitimer l’inégale répartition des ressources et du pouvoir.

District 9 est un film réalisé par Neill Blomkamp et sorti en salle en 2009. Il raconte l’exclusion d’extraterrestres réfugiés sur Terre en Afrique du Sud depuis 20 ans. Les armes très puissantes de cette espèce attire toutefois l’attention d’une entreprise d’armement qui fera tout son possible pour les faire fonctionner.

Image tirée du film District 9 illustrant les panneaux qui indiquent les lieux publics interdits aux extraterrestres comme lors de la ségrégation en Afrique du Sud

District 9 permet d’exposer la capacité des humains à déshumaniser ceux qui sont différents pour ne faire preuve d’aucune empathie à leur égard, et ainsi justifier les pires crimes.

La construction sociale de la beauté

Daniel ne correspond pas aux critères de beauté de la société sud-coréenne dépeinte dans Lookism. Il n’est pas très grand, est en surpoids et porte des lunettes. Il est harcelé pour son physique par les autres lycéens de son établissement.

Mais lorsqu’il se réveille mystérieusement dans un nouveau corps, le regard de tou·tes à son égard change drastiquement. Il est accepté, même envié par les autres garçons et fantasmé par les filles. 

Au fil de la lecture se révèlent les attendus physiques de la société sud-coréenne. La taille semble être très importante aux yeux des Coréen·nes ainsi que la musculature. Dans son nouveau corps, Daniel est coiffé comme toutes les stars de K-Pop (musique pop coréenne) et peut se passer de lunettes. Le profil type de la beauté masculine se dessine ainsi tout au long du récit: un homme brun, grand, mince et musclé. Au cours de l’histoire, on rencontre plusieurs personnages correspondants à ces codes, qui ne sont définis que par le regard de leurs pairs.

Grand, fin, brun… Le nouveau corps de Daniel Park conquiert les esprits dans Lookism

L’effet parmi ses pairs est immédiat

Lookism est un manhwa, c’est-à-dire une bande dessinée coréenne, écrite et dessinée par Tae Jun Park depuis 2014. Dans Lookism, Daniel Park, lycéen considéré peu attirant par ses pairs, se réveille un jour dans le corps dont tous les jeunes rêvent. Le changement d’attitude de ses camarades laissent entrevoir les codes de beauté coréens.

La construction sociale du genre

Dans The Handmaid’s Tale, le genre structure l’organisation de la société. Cette construction sociale a une dimension matérielle : les ressources et les espaces sociaux sont inégalement répartis.

Image tirée de la série The Handmaid’s Tale montrant une servante, une tante et une épouse

Alors que les femmes n’ont ni droits ni possessions, les hommes gouvernent. L’asservissement féminin est visible à l’écran par les uniformes que portent les femmes selon leur rôle social : épouse, tante, servante ou encore Martha (domestique). Cet uniforme est un code imposé par la société matérialisant une hiérarchie sociale stricte. Le port d’une coiffe démesurée par les servantes constitue par exemple une façon d’empêcher ces femmes de se disperser en réduisant leur champ de vision. De plus, l’obligation de se soumettre à un code vestimentaire institue une limitation genrée et dépossède les femmes d’un mode d’expression. Austères et minimalistes, ces costumes rappellent constamment le poids des structures patriarcales qui pèsent sur les femmes dans cet univers.

The Handmaid’s Tale (2017-) est une série américaine dystopique créée par Bruce Miller, adaptée du roman La Servante écarlate (1985) de Margaret Atwood. L’œuvre dépeint une dictature théocratique au sein de laquelle les hommes détiennent le pouvoir. Les femmes, privées de leur citoyenneté, sont catégorisées selon leur fonction.

Image tirée de la série The Handmaid’s Tale montrant les servantes à Washington

Paroles de chercheur·es

Marie-Lise Paoli est enseignante-chercheuse à l’Université Bordeaux Montaigne en littérature anglaise et comparée. Au sein de l’équipe PLURIEL, elle étudie l’imaginaire du féminin et les questions de résilience sociale face aux discriminations.

The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood est une des œuvres abordant la construction sociale du genre et notamment les notions de fertilité et de consentement. Pour aller plus loin, consultez le dernier ouvrage de Marie-Lise Paoli : Imaginaire du féminin : du liminal à l’animal, édité aux presses universitaires de Bordeaux.

« Grâce à la littérature, notre réflexion s'affûte d'une manière différente. »
Marie-Lise Paoli
Enseignante-chercheuse en littérature anglaise comparée
Sources

Introduction

  • La construction sociale de la réalité, 1966, Peter L. Berger et Thomas Luckmann.
  • Entre Science et Réalité. La construction sociale de quoi ? 2001, La découverte, Ian Hacking 

 

La construction sociale de la masculinité

  • Pascale Fauvet, « Le héros reaganien ou l’expression du mythe du “rêve américain” » dans Frédéric Gimello-Mesplomb, Le Cinéma des années Reagan : un modèle hollywoodien ? (dir : Frédéric Gimello-Mesplomb), Nouveau Monde Éditions, 2007, p. 153-168.

 

La construction sociale de la race

 

La construction sociale de la beauté

  • “Gangnam-style plastic surgery: The science of Westernized beauty in South Korea” SY Leem – Medical anthropology, 2017 – Taylor & Francis

 

La construction sociale du genre

  • Revillard Anne, de Verdalle Laure, « Dynamiques du genre. (Introduction) », Terrains & travaux, 2006/1 (n° 10), p. 3-17.
  • Laura Benoit. L’intime à l’écran : les séries télévisées britanniques et américaines et la fabrique de la féminité. Littératures. Université Toulouse le Mirail – Toulouse II, 2020.