Habiter avec le vivant

Habiter avec le vivant, vivre au plus près des espèces animales et végétales, cohabiter avec elles. Apprenez comment vivre en harmonie avec elles et avec l’ensemble du vivant.

© Bonnie Martins

TOUS AUX ABRIS !

Qui sont les animaux liminaires (comme les hérissons) et pourquoi ont-ils besoin d’abris ? Pour protéger ces espèces, Didier Destabeaux de l’association Tous aux abris sensibilise le public à cette question à travers des ateliers participatifs.

À Bordeaux, l’association Tous aux abris propose des ateliers de construction d’abris et de sensibilisation aux espèces liminaires. Ces derniers ne sont ni domestiques ni sauvages. Ce sont des animaux vivant à proximité des habitations humaines. Ils y trouvent un intérêt, par exemple en prenant le reste de nourriture humaine. Ces espèces se logent dans les recoins de nos maisons, de nos jardins, de nos greniers, dans le bois de nos volets et de nos meubles. De nos jours, ce ne sont plus les mêmes matériaux qui sont utilisés pour construire les maisons. L’urbanisation et la diminution des constructions en bois ont un impact non négligeable sur la survie d’espèces comme l’abeille solitaire qui aime se loger à l’intérieur du bois. Ces espèces ne sont pas les seules à être affectées par les changements technologiques. L’association cherche à réparer la perte d’habitats « naturels » en construisant des abris complémentaires. Didier Destabeaux, fondateur de l’association, remarque que « la destruction des habitats naturels par l’agriculture intensive et l’urbanisation sont la deuxième cause de mortalité du vivant ». Les abris, construits par l’association, n’ont pas pour but d’être exploités mais d’accueillir une espèce dans le besoin qui vivrait à proximité. « Si la vie s’y installe, alors c’est un être vivant de sauvé. »

Construction participative

L’association Tous aux abris est sollicitée par les mairies de Bordeaux et sa périphérie. Avec leurs commandes, plus de mille abris ont déjà été fabriqués. Quelles sont les espèces profitant du dispositif ? « Des chauves-souris, des hirondelles, des mésanges mais aussi des hérissons, des pollinisateurs : osmies (abeilles solitaires), papillons, chrysopes et coccinelles. » Dans des ateliers mêlant construction et sensibilisation à la biodiversité, les participant·es peuvent en apprendre davantage à propos des espèces.
La plupart de ces abris sont construits dans une démarche de science participative. Ce concept permet aux citoyen·nes de s’impliquer dans un projet de recherche et d’être acteur·rices des actions de protection de la biodiversité. Nous vivons tou·tes en cohabitation avec la faune et la flore, alors qui de mieux placé que les citoyen·nes pour agir ? Chaque abri est numéroté et vit à travers les réseaux sociaux. Dès que l’abri est habité, un tweet est publié. De cette façon l’association, ainsi que toutes les personnes impliquées, peuvent « croiser les informations entre l’occupation des abris et leur position géographique, orientation, hauteur… La plateforme Hôtes de biodiversité (https:// actions.tousauxabris.org) permet de créer un lien entre le vivant humain et animal dans les villes de l’aire urbaine de Bordeaux. » Ce lien est accentué pendant la construction de l’abri car la personne qui le fabrique, et qui va s’en occuper, s’implique complètement dans l’action. La sensibilisation à propos des espèces vient compléter l’implication de la personne dans sa démarche de protection de la biodiversité. « Sensibiliser et suivre l’occupation de l’abri est donc aussi important que sa construction. »

La préservation de la biodiversité

Pour le fondateur de l’association, le réseau trophique (ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles) doit être préservé si nous voulons maintenir un équilibre de la biodiversité. La perte d’un être vivant, quel qu’il soit, peut engendrer un dérèglement important dans ce réseau et même amener à l’extinction d’autres espèces. L’interconnexion qui existe entre les espèces vivantes, animales et végétales, peut être respectée au travers des actions comme celles menées par l’association. D’autres structures proposent des ateliers participatifs de construction d’abris. Par exemple, la Maison du Jardinier et de la Nature en Ville au Parc Rivière à Bordeaux a pour politique de garder feuilles, bois, arbres morts afin d’encourager les petites bêtes à habiter des milieux naturels comme les litières (empilements de végétaux faisant office de lits). Ce parc urbain est situé dans le quartier Grand Parc et permet d’installer des refuges naturels pour de très nombreuses espèces vivantes, dont les espèces liminaires. De nombreux oiseaux, écureuils, petites bêtes et même un hérisson ont trouvé abri dans ce parc urbain.

Bonnie MARTINS

Didier Destabeaux est le fondateur de l’association « Tous aux abris » qui propose des ateliers de construction d’abris en science participative avec les habitants et en partenariat avec les villes de Bordeaux Métropole. Il est également concepteur-rédacteur, graphiste print/web et enseignant/formateur.

© Léo Trémoulet

LE LOUP ET L'OURS EN FRANCE

Farid Benhammou, chercheur associé au laboratoire Ruralités de l’Université de Poitiers, mène ses recherches sur les problématiques et les enjeux liés au retour du loup et de l’ours dans nos espaces ruraux.

Les grands prédateurs en France, et notamment le loup gris et l’ours brun, ont toujours été des animaux emblématiques de nos montagnes et de nos campagnes. Cependant leur statut de grands prédateurs leur a valu bien des persécutions depuis ces derniers siècles.
Chassés et exterminés depuis plus d’un siècle, c’est au début des années 1990 que les premiers loups arrivent de l’Italie par les Alpes, et que les premiers ours slovènes sont réintroduits dans les montagnes pyrénéennes. « J’ai commencé mes études dans les premiers temps de leur retour sur le territoire français, déclare Farid Benhammou. Depuis le plus jeune âge, j’ai de l’intérêt pour la nature et la faune. C’est ce qui m’a amené à m’intéresser de près à la situation de ces deux grands mammifères. » En 1998, il part enquêter et travailler au plus près d’eux et des acteurs·trices qui y sont confrontés sur le terrain dans les Pyrénées et les Alpes françaises. On recensait alors seulement une centaine de loups dans les Alpes et une dizaine d’ours dans l’ensemble de la chaîne des Pyrénées. La situation des populations de ces animaux était donc des plus précaire.

La reconquête des espaces naturels

Depuis 1996, le plan de réintroduction de l’ours brun dans les Pyrénées a permis d’introduire une dizaine d’individus. Grâce à cette campagne, la population des ours bruns dans l’ensemble des Pyrénées est aujourd’hui estimée à une soixantaine d’individus. Le loup gris, quant à lui, est un animal très adaptable avec une grande capacité de dispersion. Il est ainsi capable de parcourir des centaines de kilomètres en quelques jours. Ce faisant, le loup a vu, depuis ces trente dernières années, ses populations passer d’une centaine à environ 620 individus actuellement recensés sur l’ensemble du territoire français. Farid Benhammou étudie les relations entre les êtres humains et ces deux prédateurs en partant à la rencontre des différents partis concernés. « Je suis allé voir des éleveurs·veuses, des bergers·gères, des écologistes, des administratifs·tives, des scientifiques, des chasseurs·sseuses, des professionnel·les du tourisme afin d’échanger avec eux sur la présence du loup dans nos territoires. » Il écoute les différentes positions et réceptions à propos de la reconquête de ces animaux sur notre territoire. « L’objectif est de mieux comprendre ce que suscite le retour de ces grands prédateurs, et surtout pour quelles raisons celui-ci divise autant. »

Une expansion menacée

Bien qu’ayant nettement augmentée depuis plusieurs années, la population de loups en France semble se stabiliser. D’après Farid Benhammou, cette stagnation est très probablement due aux prélèvements d’individus autorisés par l’État et au braconnage qui persiste malgré sa stricte interdiction. L’ours est dans une situation encore plus préoccupante, pourtant il fait peu de dégâts sur les troupeaux en comparaison de son voisin canidé. « Étonnamment les deux provoquent autant de virulences, alors que les dégâts occasionnés par le loup sur les troupeaux sont bien plus importants », affirme le chercheur. Malgré l’augmentation de ses effectifs, « l’ours brun jouit d’une mauvaise réputation auprès d’une minorité très active, la plupart des gens lui étant favorable y compris localement dans les Pyrénées ». Ce n’est pas tant l’imaginaire collectif autour de ces deux grands prédateurs qui leur vaut autant de véhémences. C’est plutôt une méconnaissance des actions à mener pour cohabiter avec eux qui leur porte préjudice. « Nous avons connu au moins une génération sans loup ou ours sur notre territoire », rappelle le professeur. Il est donc difficile pour les usagers des espaces sauvages de réapprendre à vivre avec ces prédateurs. Ce qui préoccupe Farid Benhammou quant à l’avenir des populations de loups et d’ours en France ce sont les décisions à venir : « Pour moi, l’avenir des populations est entre les mains de nos citoyens. »

Léo TRÉMOULET

Farid Benhammou est professeur de géographie en classes préparatoires, chercheur associé au laboratoire Ruralités de l’Université de Poitiers et auteur d’une thèse intitulée « Géographie politique des grands prédateurs en France : vers une gestion concertée ». Il a écrit deux livres : Vivre avec l’ours (2005) et Le retour du loup en Europe (2014).

© Sacha Capdevielle

HABITER LE CHÊNE

Qui des micro-organismes ou du chêne influence l’autre dans son évolution ? Éléments de réponse avec Virgil Fievet, chercheur en biologie évolutive au laboratoire Biogeco à l’université de Bordeaux.

Le Chêne pédonculé est une espèce emblématique des forêts européennes et constitue d’un point de vue écologique, ce qui est appelé une espèce fondatrice. Elle concentre en effet sur elle et autour d’elle, un grand nombre d’interactions avec les autres organismes de l’écosystème. On estime par exemple à 1500 le nombre d’espèces qui sont directement liées à cet arbre. L’objectif est de comprendre quelle est l’étendue de son influence sur le monde qui l’entoure et à quel point celui-ci l’influence également en retour. Pour cela, Virgil Fievet, chercheur à l’unité mixte de recherche Biogeco (université de Bordeaux et CNRS), cherche à identifier les parties du génome qui sont impliquées dans les interactions entre l’arbre et les communautés de microbes qui l’habitent. À la façon du microbiote chez l’humain, le chêne représente un habitat, un écosystème en lui-même, pour des milliers d’espèces microbiennes qu’il accueille. Pour étudier ce système, Virgil Fievet se rend sur une parcelle expérimentale du Lot-et-Garonne, où ont été plantés il y a une vingtaine d’années, plus de 250 chênes, descendant d’un croisement issu de la pollinisation contrôlée de deux parents connus. « L’avantage d’avoir uniquement des frères et sœurs est de partir d’un ensemble d’individus très proche génétiquement et de pouvoir isoler facilement leurs différences, et surtout de relier ses différences aux parties de gènes, qui sont impliquées dans l’expression de traits particuliers chez l’arbre. » Ainsi le scientifique peut regarder si ces différences génétiques, qui donnent des propriétés différentes à l’arbre, influencent les communautés associées de micro-organismes comme les champignons ou les bactéries de son environnement. Virgil Fievet relève des échantillons de chaque arbre, sur sa partie aérienne grâce à des feuilles, et sur sa partie basse, grâce à des prélèvements de sols au pieds de chaque arbre. Il extrait tout l’ADN contenu dans ces prélèvements afin de retrouver quels organismes sont présents dans les échantillons. Chaque arbre se voit donc caractérisé par le profil des communautés qu’il accueille sur sa canopée et au niveau de son sol. Il cherche ensuite à relier les différences du profil des communautés de microbes au profil génétique (le génotype) de l’arbre. « Certains variants du génome du chêne peuvent ainsi expliquer les différences de communautés microbiennes sur les arbres. Ces gènes des communautés microbiennes associées aux arbres sont importants pour comprendre comment peut évoluer, sur le long terme, les associations entre les arbres et leur microbiote. »

Une étude insolite mais qui a du sens !

D’après le scientifique, il s’agit d’une autre manière de considérer l’évolution écologique : « un organisme n’évolue pas seul mais dans un tissu d’interactions avec de nombreuses espèces qui s’influencent entres elles sur le long terme. Comprendre cela et être capable de le prouver par une étude scientifique rigoureuse participe à une représentation de la nature plus complète et plus saine avec des répercutions attendues sur les stratégies de gestion agro-forestières et la réponse aux effets du changement climatique ». En complément de ce nouveau regard, cette étude permettra in fine de comprendre l’évolution de la diversité sur des temps courts. « Si on parvient à démontrer que la diversité des espèces d’un milieu est liée aux espèces fondatrices, alors on peut penser que les différents impacts subis aujourd’hui par les arbres auront des conséquences sur leurs écosystèmes. » Un arbre n’est pas qu’une espèce isolée, et sa présence a des conséquences sur le fonctionnement global d’un milieu. Le considérer dans le paysage complet du fonctionnement des écosystèmes participe à une vision de l’écologie réunit.

Sacha CAPDEVIELLE

Virgile Fievet travaille sur la compréhension de l’écologie évolutive des interactions écologiques. Ses travaux utilisent l’écologie des communautés et la génétique évolutive dans le cadre de la dynamique éco-évolutive. Ses recherches portent sur les arbres, des espèces fondatrices, et les communautés microbiennes. Les premières sont des moteurs à long terme des interactions écologiques et les secondes sont des communautés qui réagissent rapidement aux pressions sélectives.