Habiter son corps

Habiter avec son corps, comment apprendre à vivre avec son corps au travers du temps et de la maladie ? Constatez les difficultés que rencontre le corps face au vieillissement et aux traumatismes.

© Clémence Budin

OÙ VIVRE APRÈS 60 ANS ?

Habiter ne signifie plus la même chose que l’on ait 25 ou 75 ans. Pour Maël Gauneau, doctorant en sociologie, l’habitat doit s’adapter à la situation de la personne âgée, qu’elle soit positive ou négative.

Quand on pense à un senior, on s’imagine souvent une personne diminuée, malade dont les contraintes affectent le quotidien. Pourtant, anticiper sa vieillesse n’est pas forcément synonyme de changement négatif. En effet, certaines personnes âgées peuvent décider de quitter leur domicile afin de se rapprocher de leurs enfants ou de leurs petits-enfants. Parfois, ils décident de changer d’air, de partir dans un autre pays et ainsi de profiter de leurs vieux jours. Mais comme l’a constaté Maël Gauneau, doctorant en sociologie au Centre Émile Durkeim de l’université de Bordeaux, vieillir ne s’accompagne pas toujours de changements positifs. Souvent, certaines personnes rencontrent des limitations dans la vie de tous les jours et vont avoir besoin d’une aide au quotidien.

L’EHPAD, une fatalité ?

Une personne âgée n’est pas forcément destinée à finir en maison de retraite ou en ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Effectivement, il existe plus d’habitats réservés aux seniors que l’on ne le pense. Le premier d’entre eux est le domicile, mais le domicile entendu au sens large. Pour Maël Gauneau, « le domicile est un lieu où la personne est libre de ses mouvements ». Cette dénomination intègre également les résidences, c’est-à-dire les foyers logements, les résidences sociales publiques de logement pour personnes âgées qui ont été créées à la fin des années 1950. Celles-ci existent également dans le privé, ce sont les résidences « Seniors Services » qui ont un choix plus large de services. Enfin le dernier type d’habitat sont les habitats partagés » nous apprend Maël Gauneau. « Ce sont souvent des grandes maisons où “les chambres” sont en fait des studios indépendants et autonomes où la personne peut vivre sur une courte période. Les retraité·es ont accès à des espaces communs, c’est-à-dire une grande cuisine, un salon, une salle à manger etc., où les retraité·es peuvent se retrouver. » Parallèlement à ces habitats semi-collectifs, une personne âgée peut choisir, de vieillir à domicile. Ce peut être une maison ou un appartement, en ville ou en zone rurale, que la personne soit propriétaire ou locataire. « Toutefois, passé 60 ans, certains seniors ne sont plus en mesure de vivre chez eux sans une aide extérieure. Cela peut aller de l’aide très ponctuelle pour faire le ménage et les courses jusqu’à un·e infirmier·ière matin et soir et d’un·e auxiliaire de vie le midi et le soir pour préparer les repas » indique Maël Gauneau. Les aménagements ne sont pas seulement une aide extérieure, parfois il faut réaménager le lieu de vie de ces personnes. « Cela peut être des changements majeurs tels que le réaménagement de la cuisine et/ou de la chambre au rez-de-chaussée. Mais évidemment, tout cela a un coût. »

L’argent, facteur limitant

« Lors d’un entretien, une dame m’a dit “Vieillir, c’est pire quand on est pauvre” et c’est une phrase qui m’avait marqué car c’est ce que j’ai constaté». « Vieillir ne signifie pas la même chose pour chacun parce qu’on ne vieillit pas de la même manière suivant son parcours de vie, son travail, ses conditions de vie. » Concernant l’habitat, les possibilités vont être variées pour une personne qui gagne une petite retraite et qui habite dans le parc social ou bien qui est propriétaire de son logement. Malgré cela, même si cela ne constitue pas une garantie. En effet, souvent, ce sont des logements qui ont vieilli et qui ne sont plus adaptés à la situation de l’occupant. Des travaux sont alors nécessaires mais ils ne sont pas toujours possibles. De plus en plus de projets visent à maintenir les personnes âgées à domicile. « Les logements sont adaptés au vieillissement et avec un coût modéré », ce qui permettrait à toute personne qui le souhaite de vieillir tranquillement à son domicile.

Clémence BUDIN

Maël Gauneau est doctorant en sociologie affilié au Laboratoire Profession Ville Architecture Environnement (PAVE) / EA 7432 et Centre Émile Durkheim (CED) / UMR 5116 de l’université de Bordeaux.

© Léa Cabrol

ÉCOUTER, ACCOMPAGNER, FORMER

Une étudiante sur dix a déjà été victime d’agression sexuelle. Comment ce chiffre peut-il être aussi important ? Éléments de réponse avec Pauline Garcia, psychologue clinicienne et formatrice à Bordeaux.

Les chiffres du rapport de l’Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur de l’année 2020 parlent d’eux-mêmes. Le harcèlement est toujours d’actualité au sein des universités : il peut prendre la forme de violences verbales, physiques ou psychologiques. Aux yeux de la loi, le harcèlement se définit comme une violence répétée dans le temps. D’après la psychologue clinicienne Pauline Garcia, cela entraîne un rapport de force entre le∙la harceleur∙se et la victime qui se base sur la stigmatisation. « Le harcèlement peut prendre la forme d’une relation directe comme dans le cas de certaines agressions sexuelles mais il peut aussi être un ensemble de stratégies sociales indirectes comme dans le harcèlement scolaire. Cette stigmatisation peut également se transposer sur les réseaux sociaux, c’est le harcèlement numérique. »

Les 18-25 ans, les plus touchés

En lien avec la cellule de veille contre le harcèlement sexuel, les violences sexistes et homophobes de l’université de Bordeaux, l’équipe pluri-professionnelle accueille, accompagne et oriente les victimes et les témoins d’harcèlement. Pauline Garcia peut alors recevoir ces étudiant∙es au sein de l’Espace Santé Étudiants afin de « les aider à libérer leur discours, les émotions négatives et les pensées parasites liés aux événements vécus. Dans un premier temps, l’objectif est souvent de déculpabiliser la personne tout en lui donnant un espace de parole où elle sera considérée et respectée. Il faut souvent accompagner les victimes dans la prise de conscience de leur statut et dans leur légitimité à être accompagnées et aidées », précise la psychologue clinicienne. « Les 18-25 ans sont les plus touchés par le harcèlement d’après les dernières études. Le public étudiant, et plus particulièrement les femmes, sont les premières concernées. » La plupart du temps, le harcèlement se construit sur un rejet des différences. Chez les victimes, il est fréquent de retrouver un manque d’estime de soi. « Ce manque de confiance peut affecter leurs compétences communicationnelles, émotionnelles et sociales. Mais cela n’est pas systématique. De plus, nous pouvons retrouver aussi ce manque de confiance en soi chez le∙la harceleur.se mais il∙elle ne l’exprime pas de la même manière. Souvent, il∙elle cherche à prouver sa valeur à lui ou elle-même et aux autres en appuyant sa supériorité sur autrui. »

Premiers secours en santé mentale

Armée d’outils relevant des thérapies comportementales et cognitives, d’art-thérapie mais aussi d’outils d’auto-aide (comme des livres, des bandes dessinées ou des podcasts), la psychologue clinicienne accompagne individuellement ses patient∙es dans la gestion d’un potentiel traumatisme et pour leur apprendre ou réapprendre à avoir confiance en eux. « Cette confiance pourrait être la clé dans la réduction du nombre de cas d’harcèlement. » En effet, en fonction du cadre de l’enfance et de l’éducation reçue, les personnes ne reçoivent pas la même sécurité affective. Elles n’auront donc pas les mêmes compétences socio-émotionnelles et estime d’elles-mêmes. « Pour autant, il est possible d’encourager cette sécurité émotionnelle à savoir les compétences socio-émotionnelles et l’estime de soi, à travers l’éducation parentale, scolaire mais aussi thérapeutique.» Afin d’égaliser les compétences et les chances de chacun∙e, il est important de sensibiliser la population aux enjeux de la santé mentale. Aujourd’hui, un projet d’envergure mondiale est lancé pour former des secouristes en santé mentale et déstigmatiser les suivis psychologiques. Basé sur un projet australien, la formation aux Premiers secours en santé mentale (PSSM) est aujourd’hui développée dans vingt-cinq pays dont la France. L’objectif est de sensibiliser et former de futur∙es secouristes dans la population ordinaire (étudiant∙es, personnel∙les des métiers de service…). Les formateurs∙trices en santé mentale sont déjà en place sur le campus bordelais. Au cours de l’année 2022, des sessions de formation de deux jours seront prévues pour devenir secouriste. Déjà plus de trois millions de personnes sont formées dans le monde, le but étant d’augmenter davantage la sensibilisation aux troubles psychiques.

Léa CABROL

Pauline Garcia est psychologue clinicienne à l’Espace Santé Étudiants, situé au 22 avenue Pey- Berland à Pessac. Depuis novembre 2021, elle est aussi formatrice en Premiers secours en santé mental.

© Delphine Ménard

LES CONFINEMENTS, CRÉATEURS D'ANXIÉTÉ ?

Après plusieurs confinements ayant isolé les individus, le milieu social est devenu synonyme d’anxiété pour certain·es. Christophe du Fontbaré, psychiatre à Blois, donne ses impressions sur ces troubles émergents.

La pandémie de Covid-19 a forcé les gouvernements à prendre des décisions rapides et répétées d’isolements massifs, les situations de contact ont été grandement réduites. Mais cette solitude à grande échelle a-t-elle eu un impact sur notre santé mentale ? Christophe du Fontbaré est psychiatre en libéral à Blois et héberge dans sa maison médicale une association de soignant·es et de soigné·es (une structure permettant aux soignant·es et aux soigné·es de partager des moments du quotidien, de loisirs, des discussions, etc.). Il s’intéresse à ces questions actuellement au devant de la scène dans sa profession. « Pour comprendre le phénomène, il y a deux concepts à distinguer. L’anxiété sociale au sens large se réfère à la peur du social et des carcans sociaux (règles, mœurs, etc.) liée à un sentiment d’inadaptation de la part de l’individu ; et l’anxiété ‘‘phobique’’ est une peur situationnelle très précise, irrationnelle et liée à une situation sociale particulière, comme la foule ou les endroits clos. Ce sont deux troubles différents, même si l’un peut entraîner l’autre, les deux ne sont pas forcément liés. » Le premier trouble se traduit davantage par un sentiment de rejet, d’inadaptation au monde extérieur créant un mal-être. Quant au second, c’est une phobie qui se traduit par différents symptômes, comme des palpitations cardiaques, des secousses musculaires ou une transpiration excessive, se manifestant dès que la personne en question est confrontée à une situation lui provoquant de l’anxiété.

Cauchemar ou soulagement ?

Pour Santé publique France, le nombre de personnes anxieuses aurait doublé entre 2017 et 2020. Selon Christophe du Fontbaré, ces données ne sont pas étonnantes : « les gens anxieux ont parfois trouvé une satisfaction dans le fait de s’isoler. Ceux pour qui les activités sociales n’étaient déjà pas simples se sont déshabitués. C’est le cas par exemple de collégiens et de lycéens qui ne souffraient pas de phobie scolaire, mais qui ont été incapables de revenir en cours après les confinements. Les symptômes de phobie sociale étaient un motif de consultation assez rare, et avec les confinements, il est devenu fréquent. De nouveaux anxieux sociaux ont émergé avec des difficultés de réadaptation aux situations de contact. » Malgré tout, le confinement en soi a été une situation s’avérant confortable pour une partie des personnes anxieuses : « certains patients ont confié que pendant les confinements, le monde extérieur leur paraissait moins hostile que d’habitude. » Mais ces données dépendent-elles uniquement de la pandémie ? Pour le psychiatre, ce n’est pas le cas. « Nous vivions déjà dans une époque où le fait de sortir était anxiogène, avec le terrorisme, par exemple. Les confinements ont certes aggravé tous ces symptômes, mais ils n’en sont pas la cause. » Il y a heureusement des solutions pour lutter contre ce phénomène. Même si les symptômes phobiques doivent être pris en charge par un·e spécialiste, il est tout de même possible, de soulager son anxiété sociale en soignant son cercle proche. « Renouer avec sa famille, faire un pas vers les autres et comprendre d’où l’on vient permet de créer du relief dans cette masse informe qu’est parfois devenue ‘‘la société’’. Cela peut être une bonne première étape ! »

Delphine MÉNARD

Christophe du Fontbaré est un psychiatre formé en Belgique. Après quinze ans de travail à la clinique de La Borde, un établissement de référence dans la pratique de la psychothérapie institutionnelle (mettant en avant la dynamique de groupe entre soignants et soignés), il a ouvert une maison médicale à Blois en adéquation avec ce modèle.