Habiter en milieu extrême

Habiter en milieu extrême, comment s’adapter, comment faire pour vivre et résider là où tout paraît contre nous ? De l’espace aux terres arides de l’Antarctique, assimilez comment habiter dans l’hostilité de la nature.

© Maëlle Bouazzouni

EXISTE-T-IL UN PLAN B ?

Pourrions-nous vivre sur une autre planète ? Rencontre avec Franck Selsis, directeur de recherche au Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux.

Surpopulation, épuisement des ressources naturelles ou pollution sont autant de sujets d’actualité qui nous poussent souvent à lever les yeux vers le ciel en rêvant d’une seconde chance ailleurs. Il est vrai que l’actualité spatiale, la science-fiction et les milliardaires excentriques nous font souvent rêver d’une vie ailleurs que sur Terre. Pourtant, la réalité scientifique d’une vie extraterrestre semble bien complexe et pour de nombreux astrophysiciens, cette option n’est pas scientifiquement viable. « Si on parle des planètes extra-solaires, que les choses soient claires : on ne migrera pas là-bas » déclarait par exemple Michel Mayor, prix Nobel de physique, à l’Agence France Presse (AFP) en 2019. Parler de planète habitable serait donc un abus de langage et il faudrait plutôt parler d’une planète située dans la zone habitable d’une étoile d’après le spécialiste. « En fait, c’est l’insolation d’une planète – quantité de lumière qu’elle reçoit – qui détermine la possibilité d’avoir de l’eau liquide à sa surface, explique Franck Selsis, spécialiste des atmosphères planétaires. En effet, n’importe quelle planète située dans une zone habitable ne l’est pas pour autant par l’Homme. Pour ce faire, il faudrait que la planète soit tellurique, autrement dit que ce soit une planète composée essentiellement de roches et de métal, bénéficiant d’une atmosphère et de caractéristiques similaires à celles de la Terre. » Cela ne semble pas simple à trouver, et pourtant… En 2020, la Nasa recensait près de 300 millions d’exoplanètes – planètes orbitant autour d’une étoile autre que le Soleil – potentiellement habitables dans notre galaxie. Bien que ce nombre fasse rêver d’une vie dans les étoiles, il nous est malheureusement impossible d’imaginer les visiter, et encore moins de les habiter : les plus proches d’entre elles sont situées à 20 années-lumière de la Terre.

Objectif Mars ?

Depuis de nombreuses années, la planète Mars est au centre de l’attention scientifique et médiatique. Plusieurs programmes spatiaux étudient cette planète qui regorge d’eau et aiderait à comprendre notre propre environnement. Franck Selsis rappelle « qu’aujourd’hui, il n’existe aucun scénario scientifique pour aller vivre sur Mars. Outre les problèmes techniques liés au voyage pour aller sur Mars, d’autres problématiques scientifiques écartent l’hypothèse de l’implantation humaine sur Mars : les problèmes physiologiques, l’exposition aux radiations solaires, les ressources en oxygène, les sources d’énergie ou encore la nourriture sur place. » De plus, afin d’envisager la vie sur la planète rouge, il faudrait lui faire subir une terraformation, c’est-à-dire un processus consistant à transformer l’environnement naturel de la planète afin de la rendre habitable. « Dans l’hypothèse d’un tel projet, la question de l’habitat vient se confronter à des questions éthiques et de préservation des environnements. En effet, en science, on ne fait pas les choses juste parce qu’on peut les faire. De nombreuses questions de motivation ou de légitimité sont à poser. Ce sont autant de questions qui ont pu manquer par le passé concernant notre propre planète et qui doivent être posées pour envisager le futur ici ou ailleurs. »

Apprendre à vivre sur notre planète

Très engagés·ées sur les questions environnementales, de nombreux astrophysiciens·ciennes s’appliquent à trouver des solutions durables et tentent de protéger au mieux les environnements qu’ils·elles étudient. « Pour certains, c’est comme si en regardant ailleurs on perdait de vue notre propre sol. Pourtant l’étude d’autres planètes n’est en rien le fruit d’une volonté de fuir nos responsabilités environnementales, déplore Franck Selsis. En se posant des questions sur la façon d’habiter d’autres planètes, les astrophysiciens·ciennes questionnent aussi la façon dont nous habitons la nôtre ». En effet, s’il est une chose à retenir, c’est qu’il ne faut pas confondre habiter et coloniser une planète.  La question de l’habitat ailleurs ne doit pas se poser que du point de vue technique mais doit s’envisager dans une réflexion sociale plus large. Les scientifiques invitent ainsi la société à questionner avec eux le futur sur Terre et ailleurs. Pour Franck Selsis, comme de nombreux de ses confrères et consœurs, « il n’y a pas de planète B. Si l’humanité s’implante un jour sur une autre planète, ça ne peut être qu’une humanité qui a réglé ses problèmes environnementaux et qui a appris à gérer ses ressources ».

Maëlle BOUAZZOUNI

Franck Selsis est directeur de recherche au laboratoire d’astrophysique de Bordeaux et responsable de l’équipe ECLIPSE (Exoplanets – CLImate – Planetary Systems Evolution). Il étudie les exoplanètes et leur atmosphère, leur formation, évolution, diversité, habilité. Il a participé à la découverte et à l’étude des premières exoplanètes de taille et température terrestres, autour des étoiles Kepleer-186 (en 2014), Proxima (en 2016) et TRAPPIST-1 (en 2017). Il a également contribué à la première détection d’une molécule (la vapeur d’eau) dans l’atmosphère d’une exoplanète (en 2007). Il est impliqué dans le programme du télescope spatial ARIEL (ESA) qui sondera les atmosphères d’exoplanètes.

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JUSQU'À -80°C À CONCORDIA

Rendre possible la vie en Antarctique à des fins de recherche scientifique est le rôle de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor. C’est au cœur de ce continent que se trouve la station Concordia où Jean-Yves Vitoux, chargé de logistique, passe une partie de l’année.

À 3233 m d’altitude et avec une fine atmosphère, Concordia est l’endroit idéal pour réaliser nombre de recherches scientifiques. Les températures de ce lieu donnent le vertige : -30°C en moyenne en été et -63°C en hiver avec un minimum à -80°C. Vivres, vêtements, carburant, matériel scientifique et engins motorisés sont amenés par bateau puis convoi de tracteurs jusqu’à Concordia. Depuis 2014, Jean-Yves Vitoux y a réalisé six missions d’environ quatre mois en tant que technicien polyvalent. La première fois qu’il pose le pied en Antarctique, ce n’est pas le froid qui le surprend : « ça, on s’y attend, mais ce qui est le plus frappant, c’est que la station est perdue au milieu de nulle part, on est comme sur une autre planète ». Cette sensation d’isolement est finalement très proche de la réalité. « À Concordia, les gens les plus proches de nous sont dans l’ISS lorsqu’elle passe à 400 km au-dessus de nos têtes. » La station russe Vostok qui est sur le continent Antarctique est, elle, à une distance de 550 km.

« Tout est contre l’Homme »

« Je m’attendais à grelotter en sortant de l’avion, mais le froid est très supportable. » Cela est possible grâce aux vêtements résistants à de très basses températures. « Les combinaisons ont des couches d’isolant et font face aux coupures et aux agressions diverses que l’on peut avoir en travaillant. » La menace d’un coup de soleil est à prendre en compte également. « Les UV et l’éblouissement sont très importants, il faut impérativement se protéger les yeux avec des masques de type glacier. » La combinaison protège la personne du froid extérieur, mais la station Concordia doit, elle, fournir un lieu où il fait bon vivre. Les bâtiments sont chauffés à 20°C mais la température extérieure est extrême. « Quand il fait -80°C, la différence de température entre l’intérieur et l’extérieur est de 100°C. » Cette amplitude n’existant nulle part ailleurs sur Terre, il faut utiliser des matériaux particuliers. Exit les matières plastiques et le caoutchouc qui cassent en dessous de -45°C. Le bois, lui, résiste bien au froid. En Antarctique, même les véhicules fonctionnent avec du gazole modifié. « Nous sommes obligés de réchauffer les moteurs des véhicules sinon l’huile est solide et le moteur casse. Aussi, à cette altitude, les rendements des moteurs thermiques sont plus faibles à cause du manque d’oxygène. »

Une communauté hors du commun

« Lorsque nous descendons de l’avion, nous n’avons pas le droit de porter nous-mêmes nos bagages car nous pourrions faire un malaise. » Les personnes arrivant à Concordia mettent plusieurs jours à s’habituer à l’altitude et au manque d’oxygène. Ce mal-être est temporaire mais pendant toute la durée du séjour « courir, monter un escalier ou faire une longue distance à pied est difficile ». De plus, en été, il fait jour en continu. Pour pallier la nuit inexistante, « il faut créer l’obscurité dans sa chambre mais nos rythmes de sommeil sont modifiés, nous ne récupérons jamais vraiment ». Pour vivre à Concordia, « il faut aimer la vie en communauté : nous sommes 70, le seul endroit où nous sommes tout seul, c’est aux toilettes. ». Mais cette promiscuité lui plaît : « c’est comme une deuxième famille ». Il garde contact avec ses proches via Internet malgré les dix heures de décalage horaire qui n’aident pas à la communication. À son retour, ce n’est pas le bruit, le monde dans les magasins ou la rapidité de la vie qui surprend Jean-Yves Vitoux. « Étonnamment, ce qui m’impressionne le plus, c’est le bruit du vent dans les feuilles d’arbre. C’est un bruit qui n’existe pas à Concordia. »

Lucie LEPRINCE

Jean-Yves Vitoux est chargé de logistique à l’Institut polaire français Paul-Émile Victor. Il s’occupe particulièrement de l’habillement du personnel partant en Arctique et en Antarctique. Depuis 2014, il a réalisé six missions à Concordia en tant que technicien polyvalent.